Le 13 avril 2021

La marque C’est qui le patron ? (CQLP) est une belle réussite marketing. Mais réfléchissez à deux fois avant de placer vous aussi votre client à la tête de l’entreprise.

Il y a 25 ans, j’ai choisi « La Voix du Client » pour nommer une société d’études marketing, je ne peux donc que me féliciter tous les jours de voir avec quel enthousiasme l’Ecoute Client est aujourd’hui reconnue comme un impératif. La concurrence féroce née de la mondialisation et le développement d’internet ont rendu à la fois indispensable et possible la création d’un lien permanent entre les marques et leurs clients. Pour autant, faut-il que le client soit « le patron », c’est-à-dire décide de tout ? C’est ce que prétend faire CQLP en proposant, par exemple, de voter pour choisir la couleur d’un packaging. Est-ce un exemple à suivre à la lettre ?

Remarquons d’abord que CQLP n’est pas une entreprise comme les autres : la consultation permanente de sa cible est consubstantielle à cette marque. Elle pose des questions parce que sa raison d’être est de « permettre aux consommateurs de créer leurs propres produits en soutien aux producteurs ». Par ailleurs, lorsqu’une consultation est mise en œuvre, CQLP ne propose pas, par exemple, de choisir parmi toutes les couleurs de l’arc en ciel, mais entre des couleurs acceptables dans l’univers du produit (pas le violet pour un pack de lait). Il y a donc eu, au préalable, un travail purement marketing. La consultation du client est bien dans ce cas une action de communication cohérente avec le concept de cette (belle) marque et non pas une Bonne Pratique transposable à des marques « classiques ».

La tentation est grande de s’en remettre au client. Face à la difficulté d’imaginer et de trancher, les outils de Customer Feedback Management proposent une solution simple et peu coûteuse pour « dialoguer » avec le client. Est-ce bien raisonnable ? Je réponds oui s’il s’agit d’écouter et de comprendre ce que le client ressent, mais non s’il s’agit de lui laisser le pouvoir de décider ce qu’il préfère.

Restons dans l’univers des couleurs où on sait depuis longtemps ce qui est possible/audacieux/impossible en termes de couleurs selon les catégories de produits. Et évidemment ces associations évoluent dans le temps et des experts passent leur vie à interpréter la voix du client.

Pourquoi ces recherches ? Pour fournir des éléments d’information aux décideurs marketing qui seuls, in fine, choisiront s’ils veulent être provocateurs ou raisonnables, en fonction du caractère de leur marque et de leur envie de cliver ou non. Si vous court-circuitez les experts pour interroger directement les clients sur leurs préférences, vous aurez un simple classement des opinions personnelles (moi, je suis resté enfant et je vais préférer le jaune dans un grand nombre de cas). Mais vous n’obtiendrez en aucun cas un avis pertinent sur la cohérence entre la couleur, la catégorie, le positionnement, le produit…

Il faut être Dior, et revendiquer fortement le clivage, pour sortir un parfum nommé Poison dans un packaging vert et avec un jus rejeté violemment dans tous les blind tests. En revanche, quand on est Danone, on reste à juste raison plus consensuel en s’inscrivant dans les codes de l’alimentation saine, de l’hygiène et de la santé pour choisir la couleur des pots de yaourt.

Donc non, ce n’est pas le client qui décide, sinon vous n’aurez jamais un succès planétaire comme celui de Poison. Mais refuser au client le titre de patron ne signifie évidemment pas qu’il n’a aucun rôle. Je préfère personnellement l’analogie avec un poste de pilotage : le client y serait co-pilote (c’est déjà une responsabilité énorme), le commandant-patron restant, in fine, seul maître à bord.

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